Souvent redouté par les scénaristes, le pitch est pourtant devenu une étape indispensable pour faire exister un projet. Plus qu’une simple “accroche commerciale”, c’est un véritable exercice d’incarnation, un moment décisif où l’histoire proposée doit capter l’attention et transmettre son énergie.
Dans cet entretien réalisé par Pauline Mauroux, Fabien Suarez, scénariste et formateur de L’art de pitcher, notre nouvelle formation, revient sur son expérience et sur l’importance de se préparer à cet exercice autant redouté qu’essentiel.
- Tu enseignes l’art du pitch, mais à tes yeux, c’est quoi exactement un pitch ? Une vente ? Une accroche ? Autre chose ?
FS : Pour moi, un pitch, ce n’est pas une vente. C’est une clé, une clé qui ouvre des portes. Et ce que je dis toujours, c’est que ce n’est jamais une fin en soi. On peut être un excellent “pitcheur”, mais ce qu’on attend de toi, au final, c’est d’être un bon scénariste. Le pitch, c’est juste provoquer une étincelle, et après, j’ai presque envie de dire que le plus dur reste à faire.
- Mais dans la boîte à outils du scénariste aujourd’hui, c’est quand même un outil indispensable ?
FS : C’est complètement crucial. C’est une clé qui ouvre des portes, mais c’est également une carte de visite vivante, surtout dans un monde saturé d’infos. Savoir pitcher, c’est une façon d’émerger. Je pense que c’est primordial pour donner envie d’être suivi, et pour donner envie à la bonne personne de te suivre. C’est une compétence vitale aujourd’hui ; si on ne sait pas pitcher, même le meilleur scénario peut rester dans un tiroir.
- Tu as un exemple d’un de tes pitchs qui a fait tilt ? Ou au contraire, un raté ?
FS : En 27 ans de carrière, j’ai vécu toutes les situations. Le pitch dans une situation improbable parce que vous croyez en un sujet et que vous sentez que la personne est à peu près sur la même longueur d’onde que vous et vous arrivez à lui donner envie, jusqu’au pitch organisé, prévu avec un producteur dans un bureau, mais qui tombe à 14h30 juste après le déjeuner…
Un bon pitch, c’est aussi une question d’alignement avec l’interlocuteur en face de vous. Vous pouvez rater un pitch face à un producteur et réussir exactement le même pitch face à un acteur ou un réalisateur que vous essayez de convaincre. C’est ça, la difficulté du pitch, adapter son oralité et sa “méthode”, à votre interlocuteur et à l’objectif que vous vous êtes fixés.
- Tu as un exemple concret d’un pitch improbable qui a marché ?
FS : Oui, Belle et Sébastien. On était au téléphone avec ma co-scénariste Juliette Sales et un producteur qui cherchait une licence pour un film familial. Et spontanément, on s’est mis à lui chanter le générique de Belle et Sébastien ! On n’avait pas du tout prévu, évidemment, de se mettre à chanter au téléphone, on en avait juste parlé entre nous avant. Et tout de suite ça a créé quelque chose chez lui. On lui a ensuite déroulé notre pitch, qui n’était pas plus préparé que ça, c’est-à-dire notre envie de faire un film familial qui ne soit pas une comédie, mais un vrai film d’aventure. Et c’est parti de là.
J’ai un autre exemple que je développe dans la formation : on pitchait un film historique à un producteur qu’on ne connaissait pas. On lui a fait croire qu’on avait découvert la “vraie” version d’une histoire qu’il pensait connaître, et il y avait tellement de conviction et d’intention dans ce qu’on racontait, qu’il l’a cru, il n’en revenait pas. On lui a donc dit que ce n’était pas vrai, mais que c’était ce qu’on voulait raconter, et ce qu’on avait envie de susciter. Et il est devenu enthousiaste à l’idée de lire notre texte. C’est pour ça que je dis : le pitch est une clé qui ouvre des portes, et derrière, il faut un texte solide.
- Si tu devais résumer ce qu’est un “bon pitch”, tu dirais quoi ?
FS : Pour moi, un bon pitch, c’est réussir à capter l’attention, créer une émotion, et donner envie à la personne en face de dire : “OK, raconte-moi la suite.” Si ton interlocuteur repart avec une image forte, un dilemme marquant ou un personnage inoubliable, alors ton pitch a rempli sa mission.
- Et à l’inverse, quelles sont les erreurs que tu vois le plus souvent, que ce soit chez les débutants ou les pros ?
FS : Je pense qu’une des plus grosses erreurs que je vois, c’est de vouloir tout dire. Tu as le fait d’en dire trop, et puis tu as le fait de vouloir tout dire, de vouloir dérouler tout ton film et rentrer trop profondément (et trop longtemps) dans le détail.
Une autre erreur c’est aussi de ne pas s’assumer dans son pitch. Vouloir donner ce que le producteur a envie d’entendre plutôt que de vouloir s’affirmer en tant qu’auteur singulier.
Pitcher c’est parler avec clarté, conviction, mais c’est aussi apprendre à affirmer son identité d’auteur. Et il faut être honnête : 80 % des pitchs que tu feras n’aboutiront à rien. Mais ils doivent te renforcer dans ta conviction. Un jour, tu tomberas sur la bonne personne, sur le producteur avec qui ça “matche”.
- Dans la formation que tu proposes, qu’est-ce qui aide le plus les participant·es à passer un cap ?
FS : Deux choses, principalement. D’abord, la pratique. C’est une formation très concrète : on travaille sur des projets réels, on teste, on affine, on ajuste en continu, on s’entraîne. Une demi-journée est même dédiée à la posture, à la voix, à la présence. Bref, c’est une mise en condition.
Et ensuite, j’insiste beaucoup sur un point que beaucoup de scénaristes évitent : parler de soi. Dire comment le projet résonne personnellement, comment il est connecté à toi. Ce n’est pas facile, parce qu’on a envie de se cacher derrière l’histoire, mais en pitch, c’est essentiel. Comme je disais, le pitch est une carte de visite vivante.
Il permet de transmettre ton énergie, ton regard, ta conviction. Mon ambition, c’est que chaque participant reparte avec un pitch solide, authentique, et immédiatement utilisable, que ce soit devant un producteur, un réalisateur ou un comédien.
- Tu travailles uniquement sur des longs-métrages ou aussi sur des séries ?
FS : Les deux. Dans la formation, on aborde les spécificités du pitch de série et du pitch de long-métrage, car ce n’est pas du tout la même chose. Les attentes ne sont pas les mêmes, les ressorts ne sont pas les mêmes.
- Et justement, comment tu aides les participant·es à faire ressortir ce qu’il y a d’unique dans leur projet ?
FS : Je dis souvent que chaque pitch est un prototype. Il doit s’adapter au projet, à son ADN.
Certains vont tourner autour d’un concept fort, d’une arène, d’un événement. Mais moi, je pousse souvent à partir du personnage. Je trouve que c’est là que le pitch trouve son sens. Par exemple, on pourrait résumer Retour vers le futur à “un type monte dans une voiture qui remonte le temps”. Mais ce qui en fait un grand film, c’est le regard sur les personnages : ce gamin timide, son père qui se fait harceler, l’enjeu émotionnel… C’est ça, le cœur.
On va donc beaucoup travailler les personnages, mais aussi la forme du pitch en fonction du genre. Un pitch de comédie doit faire rire. Un pitch de film d’horreur doit faire peur. Il faut que l’énergie du pitch reflète l’énergie du film. C’est pour ça que cette formation est “ultra-pratique” : on ne se contente pas de parler, on travaille beaucoup par la pratique et on s’entraîne à incarner.
Si vous souhaitez vous entraîner et développer cette compétence incontournable, retrouvez Fabien Suarez accompagné de Jean Rousselot, réalisateur et metteur en scène, dans notre formation L’art de pitcher.
Inscrivez-vous dès maintenant à notre prochaine session : L’art de pitcher – S Comme Scénario
Interview réalisée par Pauline Mauroux, scénariste, autrice et créatrice de « tchik tchak, la newsletter sur l’écriture ».