Chercher des sources à l’ère de l’IA : entre accès facilité et illusion de vérité

30 septembre 2025

formation recherche documentaire scénario

À l’heure où l’intelligence artificielle bouleverse notre rapport à l’information, la question de la fiabilité des sources et de la singularité de celles-ci devient centrale. Dans cet entretien, Benjamin Tainturier explique comment l’IA transforme la recherche d’informations et pourquoi la nécessité de bien savoir réaliser une recherche documentaire reste essentielle pour démarquer son projet des autres. 

En quoi l’arrivée des IA change-t-elle radicalement la façon de rechercher des sources ? 

BT : L’IA rend accessible une pluralité d’informations qui sont déjà mises en forme. Quand on fait une recherche sur Google, il faut réfléchir aux bons mots-clés, puis on tombe sur des pages Wikipédia ou des articles déjà rédigés, filtrés, structurés. L’IA, elle, fonctionne différemment : c’est un modèle de probabilité qui calcule les mots les plus probables, on va dire les réponses les plus probables. Donc, quelque part, ça va vous guider, ça va vous créer une réponse qui va être déjà un peu plus calibrée par rapport à votre question. 

Par exemple, si vous voulez trouver les plantes découvertes au XIXe siècle en France, ça vous fait trois recherches un peu différentes : il faut aller dans un dictionnaire, voir les plantes qui ont été découvertes au XIXe siècle, puis voir les plantes qui ont été découvertes en France, mais vous ne savez pas s’il y a une correspondance entre les deux. 

GPT vous répondra directement, sans que vous ayez besoin de croiser plusieurs sources vous-même. C’est un vrai gain en accessibilité. 

Mais c’est aussi une boîte noire. Ce que vous obtenez, c’est une réponse probable, pas forcément exacte. Et ça demande donc beaucoup plus d’esprit critique pour analyser ce qu’on reçoit, car on ne sait pas précisément qui est derrière l’algorithme. L’illusion de vérité produite par le style de l’IA est extrêmement puissante, et c’est là que réside le danger. 

C’est pour cette raison que vous avez conçu cette formation ? 

BT : L’omniprésence de l’IA aujourd’hui a confirmé la nécessité d’apprendre à faire la différence entre des informations “première main” et des discours recomposés par des machines. Et aussi de comprendre ce que sont ces machines, qui les conçoit, quels biais elles transportent, quelles erreurs elles peuvent produire. Tant qu’on ignore ça, on ne peut pas vraiment les utiliser de façon pertinente. 

Mais la formation est avant tout construite autour de la recherche documentaire au sens large, et notamment des méthodes des sciences sociales, en particulier la sociologie. 

Pouvez-vous m’expliquer ce que vous entendez par “première main” et plus globalement comment hiérarchiser l’information ? 

BT : L’IA, c’est de la troisième main. Vous posez une question, l’IA répond avec un texte qu’elle a remouliné à partir d’autres textes, eux-mêmes issus de sources secondaires. Tandis qu’avec les méthodes de la sociologie (entretien et observation) on peut accéder à du réel brut, directement. 

On apprend par exemple à mener un entretien de manière éthique, à poser les bonnes questions, à instaurer la bonne distance. Et en observation, on va s’immerger dans un lieu (un hôpital, une prison, un fast-food) et repérer les comportements, les logiques sociales, les tensions. C’est un accès beaucoup plus direct, beaucoup moins “halluciné” que ce que produit une IA. 

Et c’est ce type de méthode que vous transmettez dans la formation ? 

BT : Oui. Grâce à la méthodologie qu’on va apprendre ensemble, on apprend à repérer les bons témoins, à formuler les bonnes questions, à gérer les silences, à creuser sans heurter. On voit aussi ce que signifie mener une observation rigoureuse : comment identifier des idéotypes de personnages dans un lieu donné, comment capter un état d’esprit collectif, une ambiance institutionnelle. Tout pour avoir accès à des sources de première main. 

Parce que tout ça, ensuite, nourrit l’écriture. Un personnage ne flotte plus dans le vide : il est ancré dans une logique sociale concrète. Il n’est pas juste “bourreau” ou “sauveur” : il est soignant dans un hôpital précis, dans une structure avec ses codes, ses contradictions, ses valeurs. Et ça, ça change tout dans la façon d’écrire. 

Concrètement, pour quels types de projets cette formation est-elle utile ? 

BT : Pour tous les projets (fiction ou documentaire) qui cherchent à produire un effet de réel. Si vous travaillez sur une fiction historique, une série sociale, un polar ancré dans une institution, un biopic… là, la qualité de la documentation change tout. 

Et c’est aussi très précieux dans la construction de personnages : pour qu’ils soient crédibles, incarnés, et surtout non-stéréotypés. 

Mais jusqu’où faut-il rester fidèle à ce réel ? Est-ce qu’il y a, selon vous, une éthique à respecter dans la manière de transformer la matière documentaire ? 

BT : Très bonne question. Il n’y a pas de réponse unique, mais il y a un principe à retenir : éviter les contresens. On peut inventer, on peut combler les vides, bien sûr. Mais à condition d’avoir bien compris l’état d’esprit du lieu, de l’époque, du milieu qu’on décrit. 

Quand on s’est vraiment imprégné d’un environnement, on n’a plus besoin de se demander “est-ce que c’est réaliste ?”. On sent ce qui sonne juste ou pas. Et là, l’imaginaire peut se déployer en confiance. C’est à ça que sert la recherche documentaire : capturer l’état d’esprit pour pouvoir écrire vraiment librement. 

Retrouvez la formation Faire une recherche documentaire à l’ère de l’IA, animée par Benjamin Tainturier sur notre page dédiée : Faire une recherche documentaire à l’ère de l’IA – S Comme Scénario 

Interview réalisée par Pauline Mauroux, scénariste, autrice et créatrice de « tchik tchak, la newsletter sur l’écriture ».